Trilogie Feed (Mira Grant)

Je ne vous cacherais pas que je me suis quelque peu méfiée en attaquant cette trilogie couronnée par la critique, tant les oeuvres croulant sous un succès unanime ont plus tendance à me faire fuir qu’autre chose. Ma curiosité l’emportant parfois pour le meilleur (coucou Harry P.)  comme pour le pire (meh Metro 2033), c’est ainsi que j’ai décidé de laisser sa chance à Mira Grant et son univers promettant d’être sanguinolant…

Alors, Feed… On en mangerait ? (rooh pardooon pour le jeu de mot pourri… Aller, revenez quoi, soyez sympa !)

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Si la mode était aux vampires il y a quelques temps, cette période est selon moi plus placée sous le signe de la dystopie Young Adult, à l’image de Hunger Games (lu/vu et apprécié, sans pour autant être chamboulée) ou autre Divergent (pas vu, pas lu et pas tentée du tout) pour ne citer qu’eux. J’avoue avoir mis Feed un peu dans le même panier, je ne sais pas si c’est forcément judicieux de vouloir chercher à classer ou étiqueter à tout prix, mais c’est le sentiment que j’en avais avant de commencer ma lecture. Je ne suis en effet pas particulièrement férue de littérature orientée jeunes adultes, que je trouve souvent trop peu creusée et approfondie, laissant un gout amer d’inachevé la plupart du temps. Si on rajoute à ça la thématique zombie (toujours bien en vogue) Feed ne partait pas forcément avec une longueur d’avance dans mon coeur…

Mais de quoi ça cause plus précisément ? D’un monde ayant subi un changement radical en 2014 (c’est bon, on est sauf) suite à la décimation d’une bonne partie de sa population par le virus Kellis-Amberlee, qui a la fâcheuse habitude de changer vos voisins, collègues et famille en morts vivants affamés de chair humaine et de matière grise. Un monde tentant de continuer à vivre malgré tout du mieux qu’il le peut, en conservant les bases du système d’avant pour garder un semblant d’humanité et de cohésion. Et c’est dans ce contexte tout particulier qu’on fait la connaissance de Georgia et Shaun Mason, blogueurs professionnels de leur état, amenés à suivre et retranscrire la campagne électorale américaine de 2040, visant à élire un tout nouveau président.

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Point de vue histoire pure, Mira Grant nous offre ici une narration des plus efficaces, jouant habilement sur plusieurs niveaux : on perçoit aussi bien le point de vue personnel des héros ainsi que leurs réflexions, les conséquences directes de leurs actes et de leurs découvertes sur leur petit groupe ou encore l’implication monstrueuse qu’auraient de telles révélations sur la population mondiale. L’histoire en elle même s’avère classique mais est extrêmement bien ficelée, ne jouant des zombies que pour justifier le contexte, avec suffisamment de complexité pour qu’on ai envie de dévorer la suite jusqu’à pas d’heure dans la nuit mais pas non plus trop tourmentée pour qu’on en vienne à décrocher complètement du récit.

Les trois tomes sont bien équilibrés, le premier mettant particulièrement bien en place le monde post apo imaginé par l’auteur, habile construction concernant aussi bien la vie quotidienne de la population qu’une base solide pour l’intrigue. Les deux suivants, plus classiques, s’évertuant quant à eux de suivre la folle péripétie de nos héros suite aux révélations du premier volume. La thématique de l’élection est une très bonne façon à mes yeux de mettre en avant les problématiques que peut rencontrer une telle société post zombie, devant composer entre politique classique et traumatisme majeur. Le contenu développé par l’Américaine est d’une bonne profondeur, avec une vraie réflexion. Les personnages sont intéressants et particulièrement bien développés, on se retrouve très facilement mis en situation avec eux, à leurs côtés, que ça soit  individuellement (via les différentes personnalités et les choix de carrière) que dans leurs relations avec leur entourage, direct ou non.

Une vraie réussite qui n’est bien évidemment pas sans défauts, mais je n’ai pas grand chose à reprocher au travail de Mira Grant si ce n’est de parfois créer des rebondissements (oh tient, une épidémie locale fulgurante !) un peu trop facilement et pas forcément des plus subtils. Mais bon, je lui pardonne aisément ces petits travers vu la qualité globale de l’ensemble.

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Parmi les différentes thématiques abordées, j’aimerais mettre le focus sur quelques unes d’entre elles.

Ce qui marque franchement au départ, c’est l’importance que revêt l’information, sa manipulation minutieuse et l’équilibre délicat des propos avec la désinformation. Les impacts peuvent en effet être dévastateurs et ce n’est pas notre propre époque qui pourra prétendre le contraire : il n’y a qu’à voir à quel point il est aisé de trafiquer du contenu de nos jours puis de le partager à vitesse grand V sous prétexte de scoop et de course au sensationnel. Un point qui pousse beaucoup à la réflexion et à l’approfondissement des faits proposés, quel que soit le sujet, sans oublier de multiplier les sources d’infos. Bref, Mira Grant nous rappelle ici de façon très judicieuse de ne jamais prendre pour argent comptant ce qu’on nous propose tout cuit dans le bec mais bien au contraire de continuellement développer et affuter ses sens et son esprit critique.

La diffusion de l’information dans Feed est également intéressante à mes yeux. En effet, on observe une société où Internet a définitivement pris le pouvoir, où les blogs ont renversés les médias traditionnels (journaux et télévision pour ne citer qu’eux) jugés trop long à la détente et n’ayant pas traités de façon pertinente la jeune crise liée au virus Kellis-Amberlee. Au vu de la guerre larvée entre blogs et journalisme dans certains secteurs actuellement, ne peut-on pas également se poser la question de savoir ce qu’il se produirait si un tel phénomène devait avoir lieu de nos jours ? Tout en sachant que oui, les blogs peuvent être très pertinents et proposer un contenu des plus professionnels, mais sous quel contrôle? Comment peut on distinguer ce qui est réellement judicieux de ce qui est totalement faux, lorsqu’on connait la facilité à ouvrir un tel espace ? L’auteur a d’ailleurs habilement ficelé son univers sur ce point, à travers trois niveaux de publications distincts : l’imaginaire fanstamé promettant évasion et légèreté des Bardes (représenté par Buffy), la soif de sensations fortes et la confrontation au danger des Irwin (représenté par Shaun) et enfin l’aspect très terre à terre, purement factuel et sans jugement mais à vocation de diffusion d’information et de vérité des Rédacs (représenté par Georgia). Bref, une certaine façon aussi de marquer le décalage générationnel, on arrive en effet à un moment clef de l’histoire où les jeunes vingtenaires du moment n’ont connu que le nouveau monde envahi de zombies. Or ce sont eux qui représente l’avenir et donc ont une influence non négligeable sur la vision du monde en cours.

Enfin dernier élément, celui de la surreprésentation de l’image en général. Un point qui m’a pas mal marqué durant ma lecture, je trouvais ça assez dingue de constater qu’au moindre mouvement chacun des protagonistes était équipé de dizaines d’outils d’enregistrement et caméras. On vit déjà dans une époque surconnectée où la vie privée devient de plus en plus floue mais la on atteint un autre niveau de publication et de diffusion. L’auteur ne cherche cependant pas forcément à critiquer notre société actuelle sur ce point mais fait plutôt la part belle à l’importance d’étayer propos et affirmations pour les Rédacs, dans un monde où plus que tout chaque point doit être justifié et argumenté, où la notion d’intimité n’a plus la même définition que la notre.

Je pense qu’il y aurait encore beaucoup à dire sur cette trilogie et les impacts qu’elle soulève mais je vais m’arrêter là ! Je suis par contre pas mal curieuse de connaitre vos ressentis, si vous avez été aussi « impliqués » que moi durant votre lecture et si vous avez des suggestions d’ouvrages proposant une réflexion de ce type !

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Bref, vous l’aurez compris, Mira Grant signe ici une excellente trilogie, bourrée de bonnes idées et ultra efficace ! A l’heure où bon nombre des écrits du genre sont adaptés sur petit ou grand écran, j’avoue que je ne cracherais pas pour voir un tel récit dans une salle de cinéma

Petits extraits de rayonnages #1

Tadaaa, nouvelle rubrique ! Bon, qui n’en est pas vraiment une puisque je rédigeais déjà ce genre d’articles auparavant, sous forme de bilans mensuels principalement. Des posts que j’aime beaucoup écrire et lire, mais le côté un peu trop « figé » de ces publications m’embête un peu, je préfère garder la possibilité de publier ce genre de choses quand bon me semble.

Rien de bien neuf sous la première neige montréalaise donc, juste un petit focus sur les dernières lectures qui ont occupés mes journées mais que je n’ai pas chroniquées.

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Du côté des romans, le fantastique et le merveilleux sont à l’honneur !

leviathan_la_chuteTout d’abord avec la trilogie Léviathan de Lionel Davoust, qui nous plonge dans notre monde quotidien mais teinté d’une touche fantastique non négligeable. Reprenant le thème déjà pas mal exploité de société secrète se fondant incognito dans la masse grouillante du peuple de base, dont les membres sont inévitablement dotés de pouvoirs faramineux et s’opposent avec véhémence depuis plusieurs siècles à leur ennemi juré de toujours. Bref, rien de forcément nouveau mais l’histoire est globalement bien menée et nous amène à suivre l’étrange parcours de Michael, simple mortel dont le passé trouble cache bien des secrets. Quelques longueurs durant le récit et une certaine frustration de ne pas en savoir globalement plus sur l’organisation en général, Léviathan reste toutefois une lecture agréable, mêlant plutôt bien thriller et fantastique.

Howl's Moving CastleSur les conseils d’Elessar, je me suis lancée dans Howl’s Moving Castle de Diana Wynne Jones, plus connu par l’adaptation cinématographique qu’en a faite Hayao Miyazaki et son Château Ambulant. Bon, manque de bol pour moi, j’ai du louper quelques petits éléments qui m’ont fait quelque peu passer à côté de l’ouvrage… Ça me frustre d’autant plus que c’est le genre d’ambiance un peu WTF que j’aime beaucoup, où l’on se retrouve plongé dans un savant n’importe quoi et qui fait littéralement voyager depuis son canapé. Je n’ai pas vu le dessin animé et j’ai lu en anglais, ceci explique peut être cela, bien que le texte ne soit pas des plus compliqués à comprendre, aller savoir ! Je ne baisse pour autant pas les bras avec l’auteur et je compte bien découvrir la suite de son oeuvre, avec probablement Le Château des Nuages !

l'oreille interneAprès les Monades Urbaines, je ne pouvais pas m’arrêter en si bon chemin avec Monsieur Silverberg ! L’ouvrage qui a eu l’honneur de prendre sa suite n’est autre que l’Oreille Interne, drôle d’histoire nous présentant David Selig, petit juif new-yorkais tout ce qu’il y a de plus banal si ce n’est qu’il peut lire les penser des autres. Une capacité qu’il ne sait s’il doit la maudire ou pas, au moment où celle-ci commence à le quitter. Un récit très plaisant bien que je ne sache pas trop vous détailler pourquoi, habilement mené par l’auteur qui plonge son personnage dans différents flash-backs, présentant ainsi ce don hors du commun de façon très terre à terre, bien loin d’une représentation de super héros. Et c’est assez rafraichissant en fait, bien loin du glamour et des paillettes que nous présente Hollywood et ses pléthores de bonhommes en collants tous plus évolués les uns que les autres. Une facette sombre quelque peu cachée, mais au combien réaliste en somme !

AxolotlEnfin du côté des BDs, ce fut un gros coup de coeur avec Axolot de Patrick Baud. L’ouvrage, issu d’un blog (que j’ai jamais lu, je pense que je vais réparer cette erreur sous peu !), est juste une petite merveille. De courtes histoires en anecdotes loufoques, on (re)découvre ces petits mystères écoulés des époques passées via la plume de 13 illustrateurs, mettant leurs talents au profit de récits sombres ou drolatiques. Le genre de bouquin que j’adore, qui me fait avoir 5 ans de nouveau et l’envie de tanner mes proches à coup de « eeeh tu sais que… ? » ou « haaaan mais regarde ça, c’est trop cool ! ». Et je ne pense pas être la seule !

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Un bon petit cru donc, en espérant que le prochain soit à la hauteur ! Quant aux articles précédents du genre, reste à voir si j’aurais le courage de les reprendre pour les adapter à leur nouvel intitulé…

Des coups de coeur ou de grosses déceptions de votre côté ?

Petit – Les Ogres Dieux (Hubert & Bertrand Gatignol)

Changeons un peu de registre et parlons un peu bande dessinée si vous le voulez bien ! Sans être une psychopathe du genre, j’apprécie grandement d’alterner de temps en temps avec quelques bulles (à lire ou à boire, les deux me vont), tout particulièrement lorsqu’il s’agit de beaux objets comme celui dont on va causer aujourd’hui. Parce que Petit ne convient bien qu’au personnage qui porte ce nom finalement, tant l’ouvrage réalisé par Hubert (au scénario) et Bertrand Gatignol (au dessin) en impose de lui même.

Petit

Tout fraichement récompensé du prix de la Meilleure BD de Science Fiction aux dernières Utopiales, à mon tour de voir si ce beau bébé de 174 pages édité par Soleil mérite une telle récompense.

Petit, c’est l’histoire de ce fils de roi né à la mauvaise taille, celle d’un humain alors que ses parents sont tout deux des géants, et ogres de surcroit. C’est l’histoire d’un jeune garçon qui va devoir trouver sa place au milieu d’un sacré bazar, lui qui ne rentre dans aucune des cases définies, entouré de personnages hauts en couleurs ne lui voulant pas forcément que du bien. Et d’en profiter pour retracer à travers son regard, l’histoire terrible de sa famille…

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Ce qui frappe immédiatement le lecteur, c’est l’incroyable qualité du dessin, tout de noir et blanc vêtu. Graphiquement superbe, ce beau pavé nous plonge au coeur d’un conte gothique et terrifiant, cruel et poétique. Très expressif dans ses traits, Bertrand Gatignol pose un décor majestueux, peuplé de personnages bien croqués, soulignés par de beaux contrastes et une très chouette gestion de la tonalité entre noir/gris/blanc. Le travail sur l’architecture et ses détails est une vraie réussite, remplissant parfaitement le contrat de retranscrire l’échelle entre personnages et environnement de façon remarquable.

Mais la narration n’est pas en reste pour autant. A travers deux arcs bien définis, les auteurs nous amènent à découvrir la pitoyable réalité de cette famille royale hors du commun, rongée par la dégénerescence et la débilité engendrée par trop de consanguinité, qui se rattache désespérément à son glorieux passé. Des aïeux qu’on apprend à mieux connaitre entre chaque chapitre de l’ouvrage, via des pages habilement distillées nous présentant les ancêtres et apportant par la même occasion un supplément d’informations bienvenu concernant l’histoire principale.

De ce fait, on se doute bien qu’avec un tel contexte, tout est loin d’être drôle pour les protagonistes principaux, en particulier pour les trois plus attachants d’entre eux : Petit, sa mère et  sa grand tante Desdée. Trois regards pour trois générations différentes, élevés chacun selon des principes auxquels ils chercheront à rester fidèle du mieux qu’ils le peuvent ou à les remettre en cause, du fait d’une éducation jugée trop cruelle et injuste. Petit étant particulièrement touché par ce point, lui qui est au carrefour de beaucoup de choses, tiraillé par son appartenance aux ogres mais de taille humaine, l’esprit rempli de toutes ces voix disparates qui lui infusent des idées terribles et contradictoires. Difficile de trouver sa voie dans une telle confusion !

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On pense toujours que les contes ne sont que bonté et bonheur avec leur belle conclusion « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants » mais on oublie souvent qu’ils sont avant tout des histoires terrifiantes et d’une cruauté parfois sans nom. C’est immanquablement le cas ici, où les actes barbares sont légions, qu’ils soient l’oeuvre des ogres ou des humains.

Petit met également l’accent sur notre vision du monde, vision toute biaisée où les ogres sont convaincus de leur supériorité, où la population elle même voit en ces géants des divinités, qui ne sont en réalité qu’une version d’elle même en format XXL, sans absolument rien de divin. J’ai trouvé ce point particulièrement intéressant puisque mettant habilement en lumière (via le dessin notamment) la perception toute relative de la réalité selon la vision de chacun, et surtout à quel point notre jugement peut être affecté par l’effet de masse. Ce dernier étant des plus effarants lors de la conclusion, où l’on se pose clairement quelles sont les leçons tirées des épreuves subies par les protagonistes, et en particulier la peuplade humaine qui reproduit le comportement inhumain des ogres, sous prétexte de la divinisation de ceux ci.

Enfin Petit, c’est aussi cette exploration des codes et des moeurs établis, de la difficile distinction entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, le questionnement de la normalité fixée par le plus grand nombre et de savoir si on doit se conformer au moule établi par la société ou non. De toutes ces petites actions qui finissent par faire une énorme différence (la mère qui refuse de manger son fils, Desdée rejetant en bloc la moralité de sa famille) au milieu de la bêtise crasse et abjecte présente dans les deux peuples. Une question sur la tolérance,  qui fait pas mal réfléchir sur la situation et sur l’aveuglement dont on peut faire face dans pas mal de cas, à quel point on peut avoir la mémoire courte  et tendance à reproduire ces mêmes atrocités qu’on subissait peu de temps auparavant…

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En bref, voilà une belle fable gothique finement menée, à avaler idéalement d’une traite , le temps d’une froide et pluvieuse soirée d’automne. Le genre de bel objet qu’on apprécie toujours d’avoir dans les rayons de sa bibliothèque, hâte de voir ce que les auteurs vont nous proposer pour la suite !