Les monades urbaines (Robert Silverberg)

Parfois, il suffit de peu de choses pour plonger dans un livre. Une mention faite par ci, par là puis l’occasion de tomber sur l’ouvrage en question en se promenant dans les rayons de la bibliothèque… Ces seuls éléments furent nécessaires pour que je découvre enfin les Monades Urbaines, mon tout premier Silverberg. Et pas le pire si j’en crois les échos !

Monades Urbaines

Pour une première rencontre avec l’auteur, je dois avouer que je me suis prise une petite claque. Le roman est court, 250 pages dans mon édition, mais ô combien dense ! En seulement quelques paragraphes, monsieur Silverberg arrive immédiatement à nous plonger dans ce futur étrange, où l’humanité (atteignant le pic de 75 milliards d’êtres humains) vis en vase clos dans de vertigineuses tours de 3km…

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Un environnement très particulier donc, et qui suscite inévitablement de nombreuses réflexions.

Tout d’abord, les monades en elles mêmes. Organisées en constellations, on ne connaitra jamais leur nombre exact si ce n’est qu’elles sont plus d’une centaines. Bien que différentes en terme de lieu, ce qui frappe le lecteur c’est l’organisation qu’on devine identique entre chacune d’elles. Une gestion qui semble figée pour le bien être commun de ses habitants, via une division par cités de trentaines d’étages dont les occupants ne cherchent pas à bouger et se complaisent dans leur situation. Une vie particulièrement normée qui n’a pas manqué de me hérisser le poil tant elle est aux antipodes de notre culture actuelle… Plus qu’une ville ou une région classique, la monade devient ici un élément vivant à part entière finalement, disposant de ses petits pions pour la faire fonctionner.

L’autre point qui ne manque pas d’interpeler le lecteur, c’est bien évidemment la totale liberté sexuelle prônée dans les monades. Silverberg nous met face à une société où l’échangisme est à son paroxisme, encouragé dès le plus jeune âge et presque obligatoire sous prétexte d’éviter frustrations et autres conflits (ce qui n’a pas manqué de me rappeler les bonobos ahem), afin de conserver au maximum l’harmonie nécessaire à la tolérance d’une telle population dans un espace si confiné. Une vision des choses également encouragée par l’insistance constante à la procréation, le tout dans une ambiance religieuse quasi extrémiste où le but ultime de l’humanité n’est que de croitre.

L’auteur nous met face à cette société qui a, en quelque sorte, décidé de sacrifier  les libertés individuelles et les émotions de chacun au profit de la survie de tous, avec les travers et autres paradoxes qui en découlent forcément. En effet, la monade prône un système de vie où chacun est équivalent et dispose de privilèges identiques mais où les différentes classes sont toujours existantes, avec de riches dirigeants au sommets et les classes populaires au pied de la tour, conservant cette volonté de grimper dans l’échelle sociale pour briller toujours plus. Quant aux émotions, on peut penser qu’elles s’avèrent artificiellement contrôlées puisque toute personne ressentant autre chose que le bonheur et la satisfaction quasi obligatoire est vu comme un déviant qu’on doit traiter ou éliminer pour le bien de la société entière.

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A première vue, difficile de juger autrement que négativement ce mode de vie totalement improbable à nos yeux. Mais au fur et à mesure de la lecture, on prend conscience que ce qui a été mis en place a pour but avant tout d’assurer une vie la plus agréable possible au nombre astronomique d’êtres humains vivant sur la planète. Un enjeu de taille auquel nous sommes d’ailleurs confrontés actuellement au vu de notre population grandissante, et auquel l’urbanisation verticale semble être une des solutions les plus adéquates, à l’image de la réflexion sur l’autosuffisance espérée des villes via la culture du moindre espace disponible ou sur les immeubles en eux même. Cependant, la solution miracle n’existant pas, toute organisation est obligée de faire des concessions et ne peut que rarement subvenir seule, comme nous le montre la combinaison entre le peuple exploitant les terres et les monades, constituant un équilibre fragile que la méconnaissance maintient en place.

Cependant, on peut également se poser la question de savoir jusqu’où peut on aller pour le bien être global. La structuration du livre est particulièrement intéressante lorsqu’on aborde ce point : on est en effet amené à faire la connaissance de personnages complètement différents mais qui restent toutefois très liés entre eux, à l’image du fil rouge suivant le couple Kluiver. Les états d’âmes et questionnements s’avèrent inévitablement présents et touchent sans distinction toutes les classes sociales, sans qu’on sache toutefois combien de personnes sont affectées par cette remise en cause. La question est particulièrement intéressante lorsqu’on réfléchit à ses possibles résolutions : dans le cas où la majeure partie de la population est touchée, il serait alors raisonnable de réformer le système mis en place mais où mettre toute cette masse de personnes tout en assurant un système pérenne et équitable? Il ne faut pas oublier non plus que ce jugement dépend de la culture de la personne qui observe le fonctionnement des monades : entre le monadien (qui, doit on le rappeler, n’a connu que son cas et se plait totalement dans celui ci puisque n’ayant jamais été confronté à autre chose comme notre propre mode de vie, le plein air ou les voyages par exemple), celui qui vit sur Vénus ou dans la ferme voisine, voir même le lecteur, chacun aura sa vision des choses toute personnelle.

Difficile donc de se prononcer complètement sur l’univers déployé par l’Américain, la situation étant bien plus complexe qu’elle ne semble au départ, poussant le lecteur à remettre en cause son monde qu’on prend trop souvent pour acquis. Cela nous pousse également à ne pas condamner trop vite quelque chose que l’on ne connait pas, le fragile équilibre étant bien trop souvent rompu lorsqu’on ne cherche pas à comprendre un environnement inconnu, à l’image des deux mondes antagonistes développés dans les Monades Urbaines, chacun ayant ses bons points et ces faiblesses.

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Une excellente lecture en somme et une très bonne première entrée dans le monde de Robert Silverberg ! En peu de pages, il arrive à nous questionner sur la façon dont notre avenir pourra se jouer, une réflexion d’autant plus épatante que l’ouvrage a été rédigé en 1971 !

9 réflexions au sujet de “Les monades urbaines (Robert Silverberg)”

    1. Merci ! Ouaip, c’est assez fou j’avais l’esprit qui partait vite dans tous les sens en lisant… ^^ Au point de vouloir gribouiller 36 millions de note tout au long de ma lecture, trop de choses à dire ! x)

  1. Silverberg est grand !
    C’est simple : j’ai à peu près tout aimé de ce que j’ai lu de lui (sauf son tout dernier roman sorti en France tout récemment mais c’est parce que c’est un vieux truc qui traînait dans un carton pour lequel il a trouvé une opportunité de publication sans avoir à lever le petit doigt).
    Sa production de la fin des années 60 – début des années 70 est redoutable.

    Si tu as aimé ce roman, il y en a plein d’autres qui pourraient te plaire. 😉

    1. Quand je vois la production du monsieur, je me dis que j’ai encore de la chance d’avoir tout plein de trucs de qualité à lire ! Le prochain sera l’Oreille Interne, et pour la suite je pense que j’irais piocher dans ton blog pour des références… 😀 Hésite pas à me dire ton top 5 si tu as réussis à réunir tes livres préférés !

    1. Ça se lit bien en plus car assez court, la structure est pas mal non plus puisqu’on suit plusieurs persos et leurs trajectoires qui se croisent au fur et à mesure qu’on progresse !

  2. Ce roman m’a beaucoup marqué aussi, d’autant plus qu’il est difficile de juger la situation comme tu l’as si bien montré (même si la façon de penser peut laisser un peu perplexe aujourd’hui, le raisonnement est brillant !).

    1. C’est ça que j’ai trouvé très fort, d’autant que je rejetais vraiment en bloc ce que je lisais lors des premiers chapitres, trop de différences avec mes propres valeurs et notre mode de vie… Forcément, ça part dans les extrêmes dans le bouquin mais c’est probablement lié à la période d’écriture (je suis pas spécialiste mais ça doit jouer quand même) et avec la volonté de grossir exagérément les traits pour provoquer ce type de réaction. La vie globale dans la monade est « grossière » de façon générale, on ne perçoit que peu de nuances mais la réalité s’avère plus complexe, à l’image du ressenti des personnages. Une façon aussi de montrer qu’il ne faut pas juger rien qu’aux apparences !

  3. Salut ! J’ai trouvé ton blog en fouillant sur Livraddict !
    J’ai les Monades dans ma PAL depuis un moment, je l’ai un peu négligé parce qu’occupé sur d’autres horizons, mais ça a l’air vraiment top, dans la veine de 1984 en terme d’anticipation et de réflexion sur la société. Très chouette critique, je vais probablement me coller à ce livre dans les semaines à venir =)

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