Tau Zero (Poul Anderson)

Je flânais tranquillement dans les rayons de ma bibliothèque, sans but précis si ce n’est de repérer un peu les auteurs qui s’y trouvaient, quand je suis tombée sur Tau Zero de Poul Anderson. Encore un de ces classiques que je n’avais pas lu ! Le petit stock de bouquins dans mes bras à ce moment là n’ayant pas suffit à me dissuader de l’emporter lui aussi, me voilà désormais sur cette page pour vous chroniquer ma lecture !

Tau Zero

Un classique donc, mais qui aura mis du temps avant d’atterrir dans nos vertes contrées par le biais du Bélial. En effet, datant de 1970, ce n’est que 42 ans après qu’il fut traduit et édité en France ! Fait que je trouve assez étonnant quand on connait un peu la renommée de l’auteur et qu’on constate la qualité du roman, ou alors un petit clin d’oeil involontaire à H2G2… Bref, mieux vaut tard que jamais comme on dit, d’autant qu’il a très bien vieilli et s’intègre parfaitement à notre époque actuelle.

Tau Zero relate la première mission habitée hors du système solaire, qui a pour vocation l’exploration d’une exoplantète en vue d’étude et idéalement sa colonisation. En route vers celle ci : le Leonora Christina – fleuron de technologie – et son équipage composé de 50 personnes (25 hommes et 25 femmes) choisies avec soins pour leur diversité génétique et leurs connaissances intellectuelles impératives à un tel périple.

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Un vaisseau, l’espace, la découverte de lieux inédits à l’humanité, pas de doute : c’est bien de hard SF qu’il s’agit. Genre qui n’est pas franchement ma came habituellement (je suis plus du côté fantasy et fantastique de la force), à cause du côté passablement indigeste de celui-ci. La faute bien souvent aux descriptions techniques ultra détaillées ou aux hypothèses plus ou moins logiques et crédibles proposées, qui rendent mes lectures de ce type d’ouvrages assez pénibles. J’ai toujours l’impression de passer à côté de choses essentielles dans ces cas là, sans compter la frustration de ne pas tout piger et de devoir attendre « bêtement » que l’auteur tire la conclusion de sa réflexion pour que je comprenne un peu le truc.

Eh bien que nenni ici ! Poul Anderson nous propose bien évidemment son lot de réflexions mathématiques (via le calcul et l’explication du fameux Tau Zero notamment, et surtout de la différence concernant le passage du temps qui en découle) mais le tout passe globalement bien car celles-ci ne saturent pas le roman, l’auteur ayant réussi à trouver un très bon équilibre entre sciences pures et humanité. La touche technique est suffisamment poussée pour être crédible dans un tel cadre tout en restant parfaitement digeste pour le lecteur lambda n’ayant pas un doctorat de maths en poche. A noter qu’un chapitre d’une trentaine de pages est disponible en fin d’ouvrage, pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur la technologie utilisée dans le roman !

Le second aspect évoqué tout au long du roman, c’est bien évidemment le côté humain. Comment ne pas penser en effet à ce voyage sans retour, aux difficultés de vie à bord d’un espace clos de ce genre pendant plusieurs années et aux risques de pétage de plomb qu’elles occasionnent ? Là encore, Poul Anderson fait preuve d’une belle subtilité : il évoque tous ces éléments là sans pour autant noyer son lecteur dans d’inutiles descriptions. J’ai trouvé ça vraiment bien fait de sa part car on comprend parfaitement la situation dans laquelle l’équipage se trouve sans pour autant avoir besoin de centaines de pages explicatives.

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Bref, nous voilà embarqués dans voyage des plus complexes, où le concept du temps lui-même est bien mis à mal, puisque s’écoulant différemment entre l’extérieur et l’intérieur du vaisseau, s’étirant inlassablement au fur et à mesure qu’augmentent les distances… Les minutes et les secondes se multiplient pour atteindre les années, situation déjà ô combien délicate qu’un accident va chambouler de façon inimaginable

Poul Anderson nous transporte alors dans un moment à la fois terrible et fabuleux, unique en son genre. Lecteur comme équipage se retrouvent submergés par un tel cas de figure, au point de remettre en cause sa propre envie de continuer. Pourquoi vivre avec un tel écart ? Conserve-t-on son humanité, ses buts et ses envies, sa joie de vivre dans un tourbillon pareil ? On comprend alors à quel point l’équilibre d’un groupe est fragile : en monde clos comme celui ci, la moindre défaillance d’un des membres de l’équipe peut condamner celui ci en moins de temps qu’il ne faut pour dire ouf.  Mais comment ne pas être également fasciné par un tel spectacle ? L’instant de survie couplé à l’aspect complètement bluffant d’un point de vue de scientifique va amener l’équipage à contrer comme il le peut une situation sur laquelle il n’a aucune emprise… Et permettre ainsi au lecteur de ressortir complètement soufflé de sa lecture !

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Poul Anderson signe donc ici un excellent roman, qui en peu de pages, sait comment rentrer dans son sujet et aller à l’essentiel, nous procurant ainsi un voyage hors du commun à travers l’espace. Une intrigue en apparence simple qui cache une complexité aux ramifications multiples, tout en restant des plus agréables à lire. Bravo !

Métro 2033 (Dmitri Glukhovsky)

Y’a pas à dire, on vit quand même dans une époque formidable. Une époque où quasiment n’importe qui peut diffuser ses écrits de façon aisée, en particulier par le biais d’Internet, permettant ainsi l’éclosion du nouvelle génération d’auteurs. En effet, à l’image de Silo,  Métro 2033 a d’abord été publié via le blog personnel de Dmitri Glukhovsky, avant d’être repéré par éditeurs de jeux vidéos et littéraires.

Vu le succès rencontré et la thématique abordée, je ne pouvais manquer de fourrer mon nez dans les profondeurs du métro moscovite…
Metro2033

Si je n’avais pas été unanimement conquise par la version du monde postapocalyptique proposée par Hugh Howey (c’est marrant comment les thématiques de base se rejoignent, un effet de mode ?), j’en étais quand même ressortie satisfaite. Ici, comment vous dire… J’ai passé toute ma lecture à lever les yeux au ciel, à râler ouvertement face aux pages et à me dire « Mais c’est quoi ce bordel ». C’est simple, je crois que je me suis rarement autant énervée sur un bouquin, à pester continuellement sur son déroulement, un ouvrage ayant pourtant reçu le prix Meilleur Premier Roman lors de la Convention Européenne de Science Fiction en 2007.

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Alors oui, je crache ouvertement dans la soupe là et comme je n’aime pas critiquer gratuitement, je vais étoffer un peu mes propos.

L’univers proposé par Dmitri Glukhovsky est on ne peut plus prometteur lorsqu’on se met un peu en situation. Imaginez un peu un monde ravagé par un conflit nucléaire, où la population de Moscou n’a eu pour seul recours de survie que de se réfugier dans le métro. Une nouvelle société en proie à de nombreuses difficultés de vie, confrontée au besoin primaire de se nourrir, à l’accès délicat aux soins, au confort et à la sécurité relatifs, qui tente envers et contre tous de retrouver un semblant de vie normale après la catastrophe.

Un environnement où les menaces sont omniprésentes, qu’elles soient en surface via les terrifiantes créatures peuplant le monde extérieur et son air complètement empoisonné, ou tout simplement venant de l’intérieur, les tunnels recelants de phénomènes irréels comme de stations inexplorées, où les disparitions mystérieuses sont fréquentes et inexpliquées. Le tout sans compter le danger venant de l’homme lui-même, entre fanatiques religieux, extrémistes politiques, confrontation entre richesse et pauvreté ou abus de pouvoirs et de faiblesse, la nature humaine reprenant en effet très vite ses droits et ses travers… Bref, tous les éléments sont bien présents pour créer une ambiance glauque et oppressante, qui plongerait son lecteur dans une bulle qu’il ne pourrait quitter qu’une fois toutes les réponses à ses questions acquises.

Et pourtant, ça ne prend pas. La faute à un rythme noyé sous les longueurs et les passages inutiles, à une intrigue à la fois trop simpliste et bourrée d’informations ne servant pas à grand chose. Tout d’abord, la très floue mission d’origine confiée à Artyom (se rendre à Polis, l’eldorado du métro moscovite) qui bouffera rien qu’à elle seule les 2/3 de l’ouvrage. Le périple vers cette fabuleuse cité souterraine m’a excessivement ennuyé, tant la mise en forme de l’histoire est plate (au sens français comme québécois :p). Notre héros enchaine en effet déconvenues sur mauvaises rencontres et s’en sort toujours miraculeusement, ces points n’ayant au final que très peu d’interêt pour la suite, si ce n’est à présenter une sorte de carte postale de l’horreur des sous sols. Les protagonistes rencontrés sont aussi jetables que des mouchoirs, n’apportant quasiment rien au scénario, chose s’avérant fort dommage car disposants d’un bon potentiel s’ils étaient plus étoffés et mieux utilisés.

J’ai finalement beaucoup lu en diagonale dès le 2ème tiers, sans que ça pose le moindre problème de compréhension du bouquin, preuve s’il en est qu’il mériterait d’être simplifié pour gagner en impact et suspense. Plus on progresse, et plus les longueurs inutiles s’accumulent, noyant complètement l’intrigue elle même, les petites menaces quotidiennes n’étant que très peu approfondies (on passe de l’une à l’autre en oubliant les précédentes), l’origine de la catastrophe restant floue (même si on s’en doute un peu) et la résolution de la présence réelle du surnaturel étant complètement bâclée sur la fin. La conclusion s’avérant d’ailleurs à mes yeux bien faiblarde, à la fois tellement prévisible et trop facile, où de nouveaux prédateurs s’ajoutent et rendent le tout encore plus indigeste qu’il ne l’était déjà.

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Bref, Glukhovsky nous l’a un peu (beaucoup) joué à la Lost : il pose un environnement bourré de questions et d’interrogations qui fusent dans tous les sens, mais s’égare complètement en cours de route et nous propose que bien trop peu de réponses, laissant son lecteur frustré et saoulé par un tel traitement.

Je ne peux pas m’empêcher de faire le parallèle avec l’article qu’à récemment publié Gromovar concernant l’interêt de chroniquer les mauvais livres. Je n’aurais clairement pas lu celui ci si j’avais lu ce genre de critiques négatives, même si je reconnais ma faute sur ce point vu que je n’ai pas lu d’avis avant de me lancer. Ce n’est pas dans mes habitudes, je préfère garder au maximum la surprise de la découverte tout en conservant un esprit neutre pour ne pas me laisser influencer par un avis extérieur. Tout comme je ne lis les chroniques des autres blogolecteurs qu’après avoir fini la mienne pour conserver mon propre point de vue ! Une situation pas facile car les avis de tous sont bien évidemment subjectifs mais j’avoue que dans ce cas précis, j’aurais peut être du faire l’inverse…

En revanche, l’adaptation en jeu vidéo est une vraie bonne idée ! Je n’y ai pas joué moi même (j’aurais trop les chocotes perso), je ne peux donc pas me prononcer sur sa qualité mais pour le coup l’environnement et ses menaces doivent être particulièrement adaptés au style.

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Bref, extrêmement déçue je suis ! Je ne vais évidemment pas replonger dans la suite avec Métro 2034 mais en revanche, sa toute dernière parution (qui rencontre un franc succès auprès de blogueurs de qualité) m’intrigue déjà plus. Me restera plus qu’à lire les avis avant de me lancer (ou non) dans Futu.re !

La Ménagerie de Papier (Ken Liu)

Tranquillement mais surement, je continue à découvrir de nouveaux auteurs… Des classiques indéboulonnables pour la plupart, à l’image de Robert Silverberg, mais également des plus contemporains, comme c’est le cas aujourd’hui avec le sino-américain Ken Liu. Plébiscité de toute part, son recueil de nouvelles La Ménagerie de Papier ne pouvait donc que m’intriguer…

Verdict ?

La Ménagerie de Papier

Bon, le moins qu’on puisse dire, c’est que la rencontre n’a pas été  des plus évidentes au premier abord… J’ai vraiment eu beaucoup de mal à rentrer dans ce recueil, la première moitié ne m’ayant pas plus convaincue que ça malgré quelques bons éléments. Les textes me laissaient globalement de marbre et les personnages ne suscitaient aucune empathie ni attachement particulier de ma part. Au point quand même de me demander si je lisais ce même recueil qui a enchanté une bonne partie de la blogosphère !

Je pense maintenant qu’une majeure partie de ce ressenti vient du fait qu’à ce stade il est encore trop tôt pour dégager une thématique commune à l’ensemble de ces écrits, puisqu’évoquant des sujets sans vraiment de rapports apparents entre eux. Ce n’est vraiment qu’à partir de la (sublime) Ménagerie de Papier que j’ai enfin pu apprécier comme il se doit le travail fourni par Ken Liu, effleurant du bout des doigts les subtilités des sujets communs distillés dans ces nouvelles très variées.

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Et ce schéma global, c’est celui de la communication. Avec ses joies et ses peines, ses difficultés inévitablement liées à l’incompréhension entre les espèces ou les individus, ses différentes formes (oral, écrit, corporel) et bien évidemment les tragédies qui en découlent. L’auteur axe finalement énormément ses histoires sur les interactions entre individus et les intenses émotions qui en découlent, à l’image de l’Algorithme de l’amour et son utilisation d’une l’IA poupée plus vraie que nature, nous permettant de suivre le tragique parcours de la créatrice ou encore la Ménagerie de Papier, fabuleuse nouvelle éponyme du recueil… Véritable joyau de cet ouvrage, j’ai rarement lu un texte aussi beau et prenant, accédant sans problème au top du top de mes lectures tant il prend le lecteur au tripes par son sujet, son déroulement et les émotions terribles qu’il fait ressentir. C’est simple, mon coeur s’est serré tout au long de ma lecture et frémit encore aux souvenirs de celle ci à mesure que je tape ces mots sur mon clavier. Je n’ai pas la larme à l’oeil facilement quand je lis mais là, la fin bouleversante m’a laissée pantoise. Une pépite, une merveille dont on comprend aisément les multiples récompenses qu’elle a reçue, poétique à souhait avec ses fragiles animaux de papier, dont la vie ne tient qu’au faible souffle transmis par l’amour d’une mère perdue en territoire inconnu. Fable sur le passage difficile de l’enfance à l’adolescence puis vers l’âge adulte, cette nouvelle  synthétise à elle seule le rude combat (mais ô combien commun) mené par des milliards de personne, laissant ses traces indélébiles profondément marquées en chacun de nous. Magistral.

Ken Liu évoque également les avancées technologiques et ses impacts sur l’humanité, posant la question du bénéfice de celles ci et jusqu’à quel point est on prêt à accepter ces interventions. Trois textes m’ont particulièrement intéressée sur ce point : Emily vous répond et les résultats imprévisibles d’une intervention sur la mémoire, Trajectoire mettant en avant les aspects difficiles causés par le rajeunissement éternel de l’organisme, et enfin Faits pour être ensemble, critique à peine voilée de l’omniprésence de Google et de son implication dans notre quotidien. Bien qu’assez prévisible dans son déroulement et son intrigue, cette dernière pose toutefois de bonnes questions sur les compromis que l’on est prêt à accepter pour vivre une vie sereine et agréable, à l’abris des désagréments et du moindre trouble…

Enfin, certains textes s’avèrent nettement plus liés entre eux et posent les bases d’une réflexion intéressante sur notre intégrité en tant qu’espèce et la colonisation d’une nouvelle planète. L’auteur nous invite en effet à nous pencher sur la découverte et le peuplement de Pélé à travers Le peuple de Pélé, Mono no Aware et les Vagues (celle-ci concluant d’ailleurs d’une très belle façon le recueil), trois nouvelles situées à des centaines d’années d’écart les unes des autres, mettant ainsi l’accent sur les différences de valeurs et de culture que développent des lieux et conditions de vies à des années lumières de distance. Une forme de pensée particulièrement pertinente puisque soulignant l’incompréhension (et donc les tensions) entre espèces et intra espèce, la capacité d’outrepasser ce qu’on a finalement toujours connu et de remettre en cause ses croyances, tout en gérant le côté obtus et borné de ceux dont l’esprit s’obstine à rester fermé en faisant face à la peur de l’inconnu. Oui, tout ça.

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La Ménagerie de Papier brasse donc une variété de situations particulièrement intéressantes, prouvant que peu importe la période ou les peuples, les mêmes difficultés subsistent inévitablement. Une densité d’informations qu’il est bien plus facile d’appréhender dans sa totalité, chaque nouvelle en éclairant une autre à sa façon. J’ai tendance à préférer les recueils disposant d’une grosse thématique commune (à l’image de l’excellentissime Petite Déesse) que je trouve plus aboutis et moins brouillons, assurant au mieux la cohérence générale d’un ouvrage.

La Ménagerie de Papier reste à mes yeux moins poétique dans sa globalité que la Petite Déesse, mais 1) il ne faut pas comparer (la structuration et le but ne sont pas du tout les mêmes ici) 2) vu l’immense qualité de l’ouvrage de McDonald, pas évident d’atteindre un tel niveau. Ken Liu s’en approche énormément, j’ai juste moins vibré et moins été touchée par son ensemble de textes. Les gouts et les couleurs me direz vous ! Cette réflexion me permet finalement de mieux me connaitre dans mon appréciation des recueils, j’apprécie énormément un fantastique sombre et moite à la Mélanie Fazi /Lisa Tuttle ou par la magie d’un McDonald par exemple.

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Ken Liu signe donc avec la Ménagerie de Papier un très bon recueil de nouvelles, développant des idées particulièrement intéressantes sur les relations que peuvent développer les différents être vivants et les émotions qui en découlent. Pas l’immense coup de coeur qu’on pu ressentir certains pour ma part, mais un ouvrage de qualité qui mérite amplement sa place sur vos étagères !