La Ménagerie de Papier (Ken Liu)

Tranquillement mais surement, je continue à découvrir de nouveaux auteurs… Des classiques indéboulonnables pour la plupart, à l’image de Robert Silverberg, mais également des plus contemporains, comme c’est le cas aujourd’hui avec le sino-américain Ken Liu. Plébiscité de toute part, son recueil de nouvelles La Ménagerie de Papier ne pouvait donc que m’intriguer…

Verdict ?

La Ménagerie de Papier

Bon, le moins qu’on puisse dire, c’est que la rencontre n’a pas été  des plus évidentes au premier abord… J’ai vraiment eu beaucoup de mal à rentrer dans ce recueil, la première moitié ne m’ayant pas plus convaincue que ça malgré quelques bons éléments. Les textes me laissaient globalement de marbre et les personnages ne suscitaient aucune empathie ni attachement particulier de ma part. Au point quand même de me demander si je lisais ce même recueil qui a enchanté une bonne partie de la blogosphère !

Je pense maintenant qu’une majeure partie de ce ressenti vient du fait qu’à ce stade il est encore trop tôt pour dégager une thématique commune à l’ensemble de ces écrits, puisqu’évoquant des sujets sans vraiment de rapports apparents entre eux. Ce n’est vraiment qu’à partir de la (sublime) Ménagerie de Papier que j’ai enfin pu apprécier comme il se doit le travail fourni par Ken Liu, effleurant du bout des doigts les subtilités des sujets communs distillés dans ces nouvelles très variées.

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Et ce schéma global, c’est celui de la communication. Avec ses joies et ses peines, ses difficultés inévitablement liées à l’incompréhension entre les espèces ou les individus, ses différentes formes (oral, écrit, corporel) et bien évidemment les tragédies qui en découlent. L’auteur axe finalement énormément ses histoires sur les interactions entre individus et les intenses émotions qui en découlent, à l’image de l’Algorithme de l’amour et son utilisation d’une l’IA poupée plus vraie que nature, nous permettant de suivre le tragique parcours de la créatrice ou encore la Ménagerie de Papier, fabuleuse nouvelle éponyme du recueil… Véritable joyau de cet ouvrage, j’ai rarement lu un texte aussi beau et prenant, accédant sans problème au top du top de mes lectures tant il prend le lecteur au tripes par son sujet, son déroulement et les émotions terribles qu’il fait ressentir. C’est simple, mon coeur s’est serré tout au long de ma lecture et frémit encore aux souvenirs de celle ci à mesure que je tape ces mots sur mon clavier. Je n’ai pas la larme à l’oeil facilement quand je lis mais là, la fin bouleversante m’a laissée pantoise. Une pépite, une merveille dont on comprend aisément les multiples récompenses qu’elle a reçue, poétique à souhait avec ses fragiles animaux de papier, dont la vie ne tient qu’au faible souffle transmis par l’amour d’une mère perdue en territoire inconnu. Fable sur le passage difficile de l’enfance à l’adolescence puis vers l’âge adulte, cette nouvelle  synthétise à elle seule le rude combat (mais ô combien commun) mené par des milliards de personne, laissant ses traces indélébiles profondément marquées en chacun de nous. Magistral.

Ken Liu évoque également les avancées technologiques et ses impacts sur l’humanité, posant la question du bénéfice de celles ci et jusqu’à quel point est on prêt à accepter ces interventions. Trois textes m’ont particulièrement intéressée sur ce point : Emily vous répond et les résultats imprévisibles d’une intervention sur la mémoire, Trajectoire mettant en avant les aspects difficiles causés par le rajeunissement éternel de l’organisme, et enfin Faits pour être ensemble, critique à peine voilée de l’omniprésence de Google et de son implication dans notre quotidien. Bien qu’assez prévisible dans son déroulement et son intrigue, cette dernière pose toutefois de bonnes questions sur les compromis que l’on est prêt à accepter pour vivre une vie sereine et agréable, à l’abris des désagréments et du moindre trouble…

Enfin, certains textes s’avèrent nettement plus liés entre eux et posent les bases d’une réflexion intéressante sur notre intégrité en tant qu’espèce et la colonisation d’une nouvelle planète. L’auteur nous invite en effet à nous pencher sur la découverte et le peuplement de Pélé à travers Le peuple de Pélé, Mono no Aware et les Vagues (celle-ci concluant d’ailleurs d’une très belle façon le recueil), trois nouvelles situées à des centaines d’années d’écart les unes des autres, mettant ainsi l’accent sur les différences de valeurs et de culture que développent des lieux et conditions de vies à des années lumières de distance. Une forme de pensée particulièrement pertinente puisque soulignant l’incompréhension (et donc les tensions) entre espèces et intra espèce, la capacité d’outrepasser ce qu’on a finalement toujours connu et de remettre en cause ses croyances, tout en gérant le côté obtus et borné de ceux dont l’esprit s’obstine à rester fermé en faisant face à la peur de l’inconnu. Oui, tout ça.

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La Ménagerie de Papier brasse donc une variété de situations particulièrement intéressantes, prouvant que peu importe la période ou les peuples, les mêmes difficultés subsistent inévitablement. Une densité d’informations qu’il est bien plus facile d’appréhender dans sa totalité, chaque nouvelle en éclairant une autre à sa façon. J’ai tendance à préférer les recueils disposant d’une grosse thématique commune (à l’image de l’excellentissime Petite Déesse) que je trouve plus aboutis et moins brouillons, assurant au mieux la cohérence générale d’un ouvrage.

La Ménagerie de Papier reste à mes yeux moins poétique dans sa globalité que la Petite Déesse, mais 1) il ne faut pas comparer (la structuration et le but ne sont pas du tout les mêmes ici) 2) vu l’immense qualité de l’ouvrage de McDonald, pas évident d’atteindre un tel niveau. Ken Liu s’en approche énormément, j’ai juste moins vibré et moins été touchée par son ensemble de textes. Les gouts et les couleurs me direz vous ! Cette réflexion me permet finalement de mieux me connaitre dans mon appréciation des recueils, j’apprécie énormément un fantastique sombre et moite à la Mélanie Fazi /Lisa Tuttle ou par la magie d’un McDonald par exemple.

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Ken Liu signe donc avec la Ménagerie de Papier un très bon recueil de nouvelles, développant des idées particulièrement intéressantes sur les relations que peuvent développer les différents être vivants et les émotions qui en découlent. Pas l’immense coup de coeur qu’on pu ressentir certains pour ma part, mais un ouvrage de qualité qui mérite amplement sa place sur vos étagères !

Janua Vera (Jean-Philippe Jaworski)

Une fois n’est pas coutume, c’est d’un ouvrage écrit par un auteur français Jean-Philippe Jaworski – dont je vais faire la critique. Mine de rien, malgré une présence de plus en plus forte, les frenchies restent assez limités dans la littérature fantasy/fantastique.

J’ai découvert Janua Vera au hasard de déambulation sur la blogosphère, et les commentaires élogieux à son sujet me l’ont rendu indispensable.

.Janua Vera

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Mais reste à voir si je vais accrocher où si finalement ça ne sera pas mon style, avec un belle désilusion au bout….

Né du rêve d’un conquérant, le Vieux Royaume n’est plus que le souvenir de sa grandeur passée… Une poussière de fiefs, de bourgs et de cités a fleuri parmi ses ruines, une société féodale et chamarrée où des héros nobles ou humbles, brutaux ou érudits, se dressent contre leur destin. Ainsi Benvenuto l’assassin trempe dans un complot dont il risque d’être la première victime, Aedan le chevalier défend l’honneur des dames, Cecht le guerrier affronte ses fantômes au milieu de tueries… Ils plongent dans les intrigues, les cultes et les guerres du Vieux Royaume. Et dans ses mystères, dont les clefs se nichent au plus profond du coeur humain….

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Janua Vera est un recueil de sept nouvelles, présentant donc des personnages plus ou moins importants, relatant des histoires plus ou moins personnelles et mémorables de l’histoire du Vieux Royaume, qui part en décrépitude. A priori pas de récits joyeux et amusants, mais plutôt une plongée dans tout ce que l’âme humaine à de plus sombre et de secret. Le tout se déroule dans un univers à tendance médiévale fantastique, un univers propre à la fantasy et qui lui est assez classique finalement. Les inovations et la particularité de l’ouvrage ne viendront pas de là..

Comme pour Miroirs et fumées (de Neil Gaiman), je ne vais pas m’amuser à vous décrire chaque nouvelle précisément, car je n’en vois pas l’intérêt particulier. D’autant que si elles abordent chacunes un personnage différent comme héros, elles sont dans le fond toutes étroitement liées par une trame globale qui va tisser sa toile de manière subtile entre les différents récits. On va ainsi retrouver le sujet principal d’une nouvelle comme étant un « invité » dans une autre etc.

A la base, je ne suis pas spécialement friande de nouvelles. J’ai même été quelque peu déçue en me rendant compte que Janua Vera n’était pas un roman classique, mais un recueil. Et bien, pour tout vous dire, cette déception a été de courte durée. Le moins qu’on puisse dire, c’est que cet ouvrage mérite amplement les éloges que j’ai pu lire à son sujet !

Les histoires sont très bien ficelées, même les plus courtes. J’aposerais même une mention particulière à l’histoire de don Benvenuto (la plus longue, plus d’une centaine de pages) qui est particulièrement bien trouvée et prenante. Mais surtout, Jean-Philippe Jaworski n’a pas son pareil pour nous faire entrer dans son monde. Le style est fluide et coulé, nous projetant avec une aisance insolente dans une fôrêt humide et glacée ou sous la chaleur écrasante d’une place en plein soleil. Les personnages sont quant à eux bien construits et dans l’ensemble attachants. En peu de mots, l’auteur arrive à nous donner l’impression qu’on les connait depuis toujours, comme si on les avait déjà rencontrés..

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Vous l’aurez donc compris, c’est un énorme coup de coeur que voilà. Ca faisait longtemps que je n’avais pas été happée de la sorte par des histoires ! A noter que Jean-Philippe Jaworski a également écrit un autre livre (roman cette fois ci) reprenant le personnage de don Benvenuto. Pour l’instant, Gagner la guerre (c’est son p’tit nom) n’est paru qu’en grand format, mais j’attend avec impatience sa sortie en poche !!

Ah, et au cas où vous doutiez encore de la qualité de la plume de Jean-Philippe Jaworski, Janua Vera a remporté le prix du Cafard Cosmique 2008 et Gagner la guerre a écopé du prix du roman francophone aux Imaginales de 2009